Suis-je en retard sur ma vie?
Créé le jeudi 10 octobre 2024 par Hamza EM
Quel que soit l’âge, j’entends parfois des personnes s’inquiéter de leur “avancement” dans la vie. Cette inquiétude suppose qu’il faut courrir une course sans se retrouver trop loin derrière le peloton. Elle suppose aussi qu’il nous reste une certaine durée de temps à vivre. Or Marc Aurèle explique que nous ne possédons réellement que le moment présent, ni le passé, ni le futur.
Même si tu dois vivre trois mille ans, même si tu en dois vivre trente mille, rappelle-toi néanmoins que nul n’a à perdre qu’une vie, celle qu’il vit et n’en vit qu’une, celle qu’il perd. Donc l’extrême brièveté et l’extrême longueur reviennent au même. En effet, le présent est égal pour tous, donc pour tous la perte est la même, et ainsi cette perte est infinitésimale. (…)
Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre II § XIV (extrait)
Pour pouvoir courrir la course de la vie que l’on suppose ici, il faut bien une ligne d’arrivée. C’est l’âge auquel nous supposons implicitement que l’on est censé mourrir. Or cette date butoire, rien ne nous la garantit. Nous ne possédons de façon garantie aucun instant entre la seconde qui vient de s’écouler et cette date butoire. De ce fait, s’octroyer quelque chose que l’on ne possède pas est la définition même du crédit. Nous faisons implicitement un “crédit de temps” à la nature auquel elle n’a jamais consenti. Vivre avec un crédit sur le dos, n’est jamais source de sereinité, surtout un crédit d’une telle envergure.
Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’être inerte. Pour vivre, on doit pouvoir se projeter et c’est bien ce qui fait la force de l’Homme: anticiper. L’intention derrière cette idée, est de se concentrer sur nos actions actuelles et accepter les évènements futurs arriver tel qu’ils sont car ils sont hors de notre contrôle jusqu’à ce qu’ils se produisent. Moment auquel, il sera de notre ressort de les traiter mais jusque là, nul besoin de s’en préoccuper.
Les conséquence d’un “crédit temporel”
Le “crédit temporel” est très similaire au crédit bancaire à quelques détails près. Comme ce dernier, on obtient les fonds en une fois et à intervalle régulier on doit payer un loyer. Avec ce système, à chaque paiement, on se questionne si on bien investi le temps que l’on a emprunté. Le problème c’est qu’on ne peut pas arrêter de dépenser notre temps. On ne peut pas faire une pause de réflexion puis reprendre la dépense avec un plan bien établi. Quel que soit le plan, le futur n’est prédictible, ce plan d’investissement est donc voué à l’échec. La frustration et la déception nous attends alors à chaque tournant. Voilà la nature du paiement du “crédit temporel”.
Jouir du capital en notre possession
Ce que l’on possède réellement dans le contexte de la durée d’une vie, c’est le présent. Le présent ce n’est pas aujourd’hui, cette heure-ci ou cette seconde-ci. Aucune fraction d’unité de temps ne peut représenter le présent, car au moment même où on la pense, elle fait déjà partie du passé. C’est un instant glissant qu’on ne peut ni saisir, ni déplacer. Cet instant c’est celui que l’on possède vraiment, ni celui d’avant ni celui d’après. La vie n’est donc qu’un instant. Ce n’est pas le projet que l’on construit dans nos rêves, c’est maintenant. Notre capital temporel est si petit, qu’aucune unité de temps ne peut le représenter.
(…) C’est que l’on ne pourrait perdre ni le passé ni l’avenir. Car ce que vous n’avez pas, comment vous l’ôter? (…) l’homme assuré de très nombresuses années, et l’homme qui est en train de mourir, ne perdent pas plus l’un que l’autre. En effet, le présent est le seul bien dont ils seront privés, puisque enfin ils ne possèdent que celui-là, et que ce que l’on ne possède pas, on ne peut pas le perdre.
Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre II § XIV (extrait)
En accordant la juste valeur à la vie, on se libère l’esprit pour agir au mieux, et on ne peut se garantir d’agir que maintenant.